J'ai plus envie....
"J'ai plus envie" le texte de Philippe Carrese dans son intégralité :
"J'ai plus envie...… J'ai plus envie de me prendre le quart-monde dans la gueule chaque fois que je mets un pied sur la Canebière.
Je m'apprêtais à écrire une chronique rafraîchissante pour un magazine d'été riant, bien décidé à taire mes énervements habituels. J'avais pris de bonnes résolutions, rangé ma parano dans ma poche et mes colères avec mes tenues d'hiver, au fond d'un placard. Je m'apprêtais même à faire de l'humour. Quelquefois, j'y arrive. Mais voilà… Une randonnée pédestre éprouvante entre les Cinq Avenues et le cours d'Estienne d'Orves a sapé mon moral et éradiqué mes résolutions optimistes.
J'ai plus envie de relativiser. J'ai plus envie de faire de l'humour. Et j'ai plus envie de subir ce cauchemar quotidien…...
J'ai plus envie de supporter toute la misère du monde à chaque coin de rue.
J'ai plus envie de slalomer sans cesse entre des culs-de-jatte mendiants, des épaves avinées et des cartons d'emballages de fast-foods abandonnés sur le bitume chaotique du premier arrondissement.
J'ai plus envie de cette odeur de pourriture qui me saute à la gorge, de cette odeur d'urine à tous les angles de travioles, de cette odeur de merdes de chiens écrasées sur tous les trottoirs, de ces relents de transpiration et de crasse sur les banquettes arrière du 41.
J'ai plus envie de perdre des heures en bagnole dans un centre-ville laid, dévasté par manque total de prise de conscience individuelle et d'organisation collective.
J'ai plus envie de voir ma difficile survie professionnelle lézardée par des bureaucrates en R.T.T, assenant au petit peuple que la voiture est un luxe inutile, eux qui n'ont sans doute plus pris un métro depuis des lustres.
J'ai plus envie de me retrouver sur le parvis de la gare Saint Charles à onze heures du soir avec mes jambes et ma mauvaise humeur comme alternative à l'absence totale de transports en commun et à la présence suspecte de rares transports individuels qui frisent l'escroquerie.
J'ai plus envie.
J'ai plus envie de baisser les yeux devant l'indolence arrogante de jeunes connards.
J'ai plus envie de jouer les voitures-balais pour de malheureux touristes étrangers bouleversés, fraîchement dévalisés par des crétins sans loi ni repère.
J'ai plus envie de me retrouver à chercher des mots d'apaisement et à soliloquer des propos hypocrites sur la fraternité et la tolérance lorsque mes enfants se font racketter en bas de ma ruelle.
J'ai plus envie de me laisser railler par ces troupeaux d'abrutis incultes, vociférants et bruyants au milieu des trottoirs qui n'ont qu'une douzaine de mots à leur vocabulaire, dont le mot "respect" qu'ils utilisent comme une rengaine sans en connaître le sens.
J'ai plus envie de contempler mon environnement urbain saccagé par des tags bâclés et des graffitis bourrés de fautes d'orthographe. L'illettrisme est un vrai fléau, il plombe même l'ardeur des vandales.
Et aussi…... J'ai plus envie de voir les dernières bastides mises à bas, les derniers jardins effacés d'un trait négligent sur des plans d'architectes en mal de terrains à lotir. J'ai plus envie de cette ville qui saccage son passé historique sous les assauts des promoteurs (le comblement de l'îlot Malaval est une honte).
J'ai plus envie de cette ville qui perd sa mémoire au profit du béton.
Et encore…... J'ai plus envie d'écouter poliment les commentaires avisés des journalistes parisiens en mal de clichés, plus envie d'entendre leurs discours lénifiants sur la formidable mixité marseillaise. Elle est où, la mixité ? De la rue Thiers au boulevard des Dames, la décrépitude est monochrome.
J'ai plus envie de traverser le quartier Saint Lazare et de me croire à Kaboul.
J'ai plus envie non plus de me fader encore et toujours les exposés béats de mes concitoyens fortunés, tous persuadés que le milieu de la cité phocéenne se situe entre la rue Jean Mermoz et le boulevard Lord Duveen. Désolé les gars, le centre ville, à Marseille, c'est au milieu du cloaque, pas à Saint Giniez. Tous les naufrages économiques de l'histoire récente de ma ville tournent autour de cette erreur fondamentale d'appréciation de la haute bourgeoisie locale.
J'ai plus envie de ce manque d'imagination institutionnalisé, plus envie de palabrer sans fin avec des parents dont la seule idée d'avenir pour leur progéniture se résume à: "Un boulot à la mairie ou au Département".
J'ai plus envie d'entendre les mots "Tranquille", "On s'arrange", "Hé, c'est bon, allez, ha…" prononcés paresseusement par des piliers de bistrots.
J'ai plus envie de ce manque de rigueur élevé en principe de vie.
J'ai plus envie de l'incivisme, plus envie de la médiocrité comme religion, plus envie du manque d'ambition comme profession de foi.
J'ai plus envie des discours placebo autour de l'équipe locale de foot en lieu et place d'une vraie réflexion sur la culture populaire. J'ai plus envie non plus de me tordre à payer des impôts démesurés et de subir l'insalubrité à longueur de vie.
J'ai plus envie de m'excuser d'être Marseillais devant chaque nouveau venu croisé, décontenancé par sa découverte de ma ville… Ma ville! Et pourtant, Marseille…
Pourquoi j'ai plus droit à ma ville ? Merde !"
Philippe Carrese
Comme un couteau suisse, mais marseillais…
Voici la biographie qui circule actuellement sur les medias… Effectivement, tout y est, ou presque…
Philippe Carrese est né en 1956, à Marseille.
Entré à l’IDHEC en 1974, il est réalisateur depuis 1984, romancier depuis 1994 et multifonction depuis toujours (comme les couteaux suisses, mais marseillais…).
Après avoir conçu et réalisé quelques séries comiques : Bzzz… avec Bruno Carette et Chantal Lauby (1983-1986), Bazar… avec la bande à FM (1991-1992) et mis en scène quelques téléfilms à gros budget (Conrad, le Radjah des Mers) ou à budgets ridicules (La vente continue pendant les travaux, Fromage et Dessert), il passe à l’écriture de romans noirs et drôles au début des années 90.
Avec son style efficace, sa verve méridionale et son humour ravageur, il devient en dix ans un des incontournables de la littérature noire française (et pas seulement à cause de son tour de taille).
Fasciné par l’univers méditerranéen, il a développé en l’espace de quatorze romans l’écriture de chroniques en forme de polar à l’humour caustique (Le bal des cagoles, prix polar SNCF 2001, Une belle histoire d’amour, prix des lycéens 2004)(éditions Fleuve Noir – Pocket).
Plus récemment, il s’est lancé dans une série décapante pour les adolescents « Marseille quartiers sud », qui raconte les aventures agitées de collégiens massaliotes (Syros – Collection Souris Noire). Le dernier opus de la série Le jardin des délices vient de recevoir le prix des lecteurs marseillais au Carré des Ecrivains (2008).
Depuis quelques temps, il revient à ses premières amours, la réalisation de films de fiction : « Malaterra » (2004), « Liberata » (2005), « L’arche de Babel » (2008) (films plusieurs fois primées dans de nombreux festivals) dans lesquels il développe des univers très différents de ceux que l’on peut trouver dans ses romans.
Philippe Carrese collabore avec l’atelier de création de Radio France sur l’écriture de feuilletons polar (Fréquence Noire). Il fait aussi partie du staff de réalisateurs du feuilleton à succès de Telfrance : « Plus belle la vie » dont il a réalisé le premier unitaire en prime-time.
Il est par ailleurs compositeur (musiques originales de Malaterra, Liberata, l’Arche de Babel, et bien d’autres) et occasionnellement dessinateur de presse.
Multi fonction… Un vrai couteau suisse, mais Marseillais !